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Soutenabilité De La Dette Publique Du Cameroun

Soutenabilité De La Dette Publique Du Cameroun

INTERVIEW DU JOURNAL ECOMATIN PARU CE 24 FEVRIER 2021, DANS LE CADRE D’UN DOSSIER SPECIAL SUR LA SOUTENABILITE DE LA DETTE PUBLIQUE DU CAMEROUN

Éric ELOUNDOU NGAH Entretien avec Cédrick JIONGO

  1. Au 31 décembre 2020, l’encours de la dette publique du Cameroun s’élève à 9700 milliards de FCFA soit 43,6% du PIB. Ce chiffre est en hausse de 7% par rapport à 2019. Selon les autorités le Cameroun dispose encore d’une grande marge d’endettement car le pays respecte la norme fixée en zone CEMAC qui autorise un ratio de dette publique pouvant aller jusqu’à 70% du PIB. Mais le FMI attire l’attention du Cameroun sur un risque de surendettement élevé. Quelle analyse faites-vous de la soutenabilité de la dette du Cameroun ?

 Il nous semble important, avant d’aborder la question de la soutenabilité de la dette du
Cameroun, de rappeler les raisons objectives qui justifient la mobilisation de ce type de
ressources par le Gouvernement, en sachant que l’alternative est constituée essentiellement de recettes fiscales, qui restent jusqu’ici réduites au strict minimum par rapport au potentiel
qu’offre le tissu économique réel.

En effet, on pourrait relever, sans risque de susciter une polémique, qu’il y a un consensus
national concernant l’ambition légitime des populations d’accéder à de meilleures conditions de vie sur toute l’étendue du territoire. Ce qui implique la réalisation d’importants projets
d’infrastructures couvrant aussi bien l’éducation, la santé, le transport, l’énergie, les
télécommunications, le divertissement, etc. Le coût de ces infrastructures, comparé à la surface financière actuelle de l’Etat, est largement au-dessus de ses moyens et appelle par conséquent l’endettement public.

A titre indicatif, le budget adopté par le Gouvernement pour le compte de l’exercice 2021
s’équilibre en recettes et dépenses à FCFA 4865,2 milliards, en hausse de FCFA 400 milliards par rapport à 2020. Au titre de budget d’investissement, il est prévu FCFA 1 352 milliards en 2021, contre FCFA 3 318 milliards pour le budget de fonctionnement (dont FCFA 982 milliards, soit 30%, affectés au service de la dette, à due concurrence (FCFA 491 milliards) entre dette intérieure et dette extérieure. Les recettes budgétaires nettes de l’Etat sont estimées à FCFA 3 429,7 milliards, tandis que les ressources de financement sont estimées à FCFA 1 481,9 milliards, dont FCFA 1 155,4 milliards de dettes, constituées de FCFA 703,4 milliards de prêts projets ; FCFA 350 milliards d’émission de titres publics et FCFA 102 milliards de financement bancaire. Ces dettes sont complétées par des appuis budgétaires de FCFA 260 milliards et des financements exceptionnels (allègement dette G20) de FCFA 66,5 milliards.

Eu égard à tout ce qui précède, la soutenabilité de la dette publique du Cameroun peut être
analysée à trois niveaux :

  • Premièrement, le niveau de recettes fiscales, que nous jugeons faible par rapport au potentiel réel de l’économie camerounaise, du fait d’une tolérance injustifiée du secteur informel. Il convient pour le Gouvernement d’adopter une approche fiscale novatrice, qui ferait de l’éducation financière des opérateurs économiques le levier principal de l’élargissement progressif de son assiette fiscale, car ceux-ci sont des collecteurs d’impôts et non des contribuables comme cela semble communément admis
  • Deuxièmement, la qualité de la dépense publique devrait constituer une priorité dans les réformes menées par le Gouvernement. On ne saurait justifier que le budget de fonctionnement du seul appareil administratif absorbe 68% des recettes budgétaires de l’Etat, au détriment des appuis au secteur privé dont l’impact sur l’emploi, la croissance économique et les recettes fiscales serait décuplé à hauteur des appuis consentis ;
  • Troisièmement, en se référant aux critères de convergence de la CEMAC et aux règles générales en matière d’équilibre macroéconomique, le Cameroun conserve effectivement une marge de manœuvre considérable pour soutenir son endettement. Ce qui inquiète davantage est la propension à l’endettement, qui n’est pas accompagnée à un rythme comparable, par des mesures d’assainissement des finances publiques et d’élargissement de l’assiette fiscale.
  1. La dette extérieure représente 73,3% de la dette publique soit 6600 milliards de FCFA. Est-ce un danger pour la soutenabilité de la dette du Cameroun ?

La principale contrainte de la dette extérieure n’est pas tant sa soutenabilité que son impact sur la souveraineté économique, financière et politique du pays.

Au même titre que la dépendance commerciale vis-à-vis de l’étranger, la dette publique
extérieure fragilise la stabilité macroéconomique et l’influence géostratégique du Cameroun.
C’est en cela qu’elle constitue un danger pour le moment.

  1. Comment peut-on inverser ce risque de surendettement évoqué par le FMI ?

Comme évoqué précédemment, la solvabilité du Cameroun reste solide et offre encore des marges d’endettement. Nous nous réservons ici d’évoquer le niveau d’endettement des pays dits industrialisés, dont les indicateurs sont nettement plus alarmants que ceux du Cameroun, mais qui, à leur décharge, offrent d’une part, plus de visibilité en matière de gouvernance publique et, d’autre part, un niveau d’activité économique suffisamment important pour rassurer leurs créanciers quant à leur solvabilité immédiate et future.

Pour inverser le risque de surendettement évoqué par le FMI, il convient de privilégier d’autres sources de financement dans l’avenir, en se penchant prioritairement sur la dynamisation du tissu économique local et l’élargissement de l’assiette fiscale. Cette approche entraîne en même temps le développement du système financier national et pourrait permettre d’inverser progressivement la courbe d’endettement extérieur.

Il faut espérer que le Gouvernement parvienne à mettre en œuvre de façon efficace la stratégie nationale de développement 2020-2030, qui représente à notre humble avis, une belle boussole pour la relance économique du Cameroun.

  1. Alors que le gouvernement rembourse à bonne date la dette extérieure, la dette intérieure qui ne représente que 26,6% ne semble pas autant prioritaire. Quel commentaire pouvez-vous en faire ?

Si nous nous en tenons aux prévisions budgétaires de 2021 relatives au remboursement de la dette publique, il semble bien au contraire que le Gouvernement prend très au sérieux le traitement de la dette intérieure. Il est en effet prévu pratiquement le même montant que pour le remboursement de la dette extérieure, soit FCFA 491 milliards, bien que ce montant soit en léger recul par rapport à 2020 où il se situait à FCFA 539,7 milliards (FCFA 536,2 milliards en 2019).

Par ailleurs, il peut être compréhensible que la dette extérieure soit privilégiée dans l’exécution des remboursements, compte tenu des enjeux géostratégiques liés à ce type de ressources et, des risques de sanctions internationales auxquels le Cameroun s’exposerait si le service de la dette extérieure n’était pas honoré.

  1. Il y’a comme une hantise au sein de l’opinion par rapport au volume global de la dette mais certains analystes estiment que ce n’est pas tant le montant que l’utilisation qu’il faut contrôler. Que pensez-vous de l’utilisation de la dette publique au Cameroun ?

Comme nous l’avons relevé précédemment, le budget de fonctionnement de l’Etat absorbe 68% des recettes budgétaires ; le solde étant affecté au remboursement de la dette publique. L’endettement reste par conséquent le principal levier dont dispose le Gouvernement pour financer les investissements publics.

L’utilisation de la dette publique du Cameroun peut être questionnée dans le cadre de
l’évaluation et de la conduite des projets d’investissements réalisés par le Gouvernement. La
Banque mondiale a relevé à cet effet, des cas de surévaluation des projets réalisés au Cameroun, correspondant à 6 fois le coût des projets similaires dans des pays de même profil. Il revient donc à tout le dispositif institutionnel (sénat, assemblée nationale, régions, communes, etc.) de veiller désormais à la bonne utilisation de ces ressources, en sachant quelles sont les conséquences des déviances observées actuellement, sur le plan sécuritaire et socioéconomique. Le même contrôle peut être étendu aux dépenses de fonctionnement du Gouvernement.

  1. En novembre 2020, l’agence de notation financière Moody’s attribuait au Cameroun la Note « B2 » assortie d’une perspective stable, mais elle marquait des inquiétudes sur la capacité du pays à honorer ses engagements ; ce qui pourrait rabaisser la note du pays en 2021. D’après vous, quels sont les risques qui menacent la solvabilité du Cameroun ?

Cette note « B2 » peut être considérée comme satisfaisante pour le Cameroun, dans un contexte marqué par la crise sanitaire de la COVID-19, qui a provoqué une crise économique et financière à l’échelle mondiale. En dehors de la crise sanitaire, les principaux risques pouvant rabaisser la note du Cameroun sont d’ordre sécuritaire. Il faut saluer à cet effet le travail extraordinaire qu’abat l’armée camerounaise pour préserver la paix et rassurer aussi bien les populations, les opérateurs économiques, que les partenaires au développement et les investisseurs internationaux. La note devrait être maintenue à B2 pour 2021.

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