Résumé
La Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND30) marque résolument l’adoption par le Gouvernement du Cameroun d’un nouveau modèle de développement économique centré sur l’industrialisation. Le pays passe ainsi d’un cadre de référence structurel d’économie de rente à celui d’économie industrielle, pour atteindre ses objectifs de développement à long terme.
Cependant, tout porte à croire qu’en l’état actuel des choses, la SND30 a été privée d’un levier structurel important qui peut être activé si certaines conditions sont remplies. Il s’agit bien de ce qu’il est convenu d’appeler « secteur informel ».
La présente réflexion s’intéresse à la typologie des unités de production qui devront être mobilisées dans le cadre de la mise en œuvre de la SND30 afin d’en assurer l’efficacité, dans un contexte marqué par démultipliés crises (sanitaire, sécuritaire, économique, financière, politique, etc.) et une aspiration légitime et de plus en plus pressante au bien-être et à des conditions de vie meilleures, manifestée par la population.
La question centrale est alors : dans quelle mesure le secteur informel constituerait une opportunité ou une menace pour l’atteinte des objectifs de la SND30 ?
Introduction
La Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND30) marque résolument l’adoption par le Gouvernement du Cameroun d’un nouveau modèle de développement économique centré sur l’industrialisation. Le pays passe ainsi d’un cadre de référence structurel d’économie de rente à celui d’économie industrielle, pour atteindre ses objectifs de développement à long terme.
C’est dans cette perspective que, dans son message à la nation du 31 décembre 2020, le
Président de la république Paul BIYA a souligné qu’« il conviendra [donc] de passer à la
vitesse supérieure pour lutter contre la pauvreté, le chômage et la persistance du secteur
informel. »
Si la lutte contre la pauvreté et le chômage représente un enjeu majeur qui mérite un engagement déterminé du Gouvernement à travers la SND30, la persistance du secteur informel quant à elle pose la question de la prise en compte des réalités socioculturelles dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau modèle économique qui régira l’action gouvernementale durant la prochaine décennie.
La présente réflexion s’intéresse donc à la typologie des unités de production qui devront être mobilisées dans le cadre de la mise en œuvre de la SND30 afin d’en assurer l’efficacité, dans un contexte marqué par de multiples crises (sanitaire, sécuritaire, économique, financière, politique, etc.) et une aspiration légitime et de plus en plus pressante au bien-être et à des conditions de vie meilleures, manifestée par la population. La question centrale est alors : dans quelle mesure le secteur informel constituerait une opportunité ou une menace pour l’atteinte des objectifs de la SND30 ?
Nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à cette question en opérant dans un premier temps une analyse critique de certains concepts clés (entreprise, secteur informel et transformation structurelle), afin d’en relever les limites conceptuelles par rapport au contexte socioculturel du Cameroun. Nous étudierons ensuite la typologie des unités de production exerçant au Cameroun, afin de mettre en évidence les dynamiques structurelles du secteur informel et son impact systémique réel. Enfin, en guise de conclusion, nous formulerons des hypothèses et des recommandations allant dans le sens de transformer le secteur informel en levier de croissance économique.
Concepts clés : entreprise, secteur informel et transformation structurel
Il semble utile de rappeler que la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 s’inscrit
dans la suite de la mise en œuvre du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi
(DSCE) « dont elle prend le relais jusqu’en 2030, dans la perspective de l’accomplissement
des objectifs de la Vision 2035 qui ambitionne de faire du Cameroun « un pays émergent,
démocratique et uni dans sa diversité » selon le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, Chief Dr. Joseph DION NGUTE.
La transformation structurelle de l’économie constitue le pilier central de la SND30, complété par le développement du capital humain, la promotion de l’emploi et l’insertion économique et, la gouvernance et la gestion stratégique de l’Etat. Dans ce sens, quel que soit le pilier concerné, l’entreprise représente le fer de lance de toutes les activités envisagées à travers ces axes stratégiques et se trouve visiblement mise en opposition avec le secteur informel, bien qu’au final, l’un et l’autre œuvrent pour les mêmes objectifs. D’où l’intérêt d’établir une corrélation entre les objectifs de la SND30 et la contribution potentielle des différents types d’unités de production exerçant au Cameroun, en approfondissant la connaissance des différents concepts clés.
C’est dans cette perspective que, dans son message à la nation du 31 décembre 2020, le
Président de la république Paul BIYA a souligné qu’« il conviendra [donc] de passer à la
vitesse supérieure pour lutter contre la pauvreté, le chômage et la persistance du secteur
informel. »
Si la lutte contre la pauvreté et le chômage représente un enjeu majeur qui mérite un engagement déterminé du Gouvernement à travers la SND30, la persistance du secteur informel quant à elle pose la question de la prise en compte des réalités socioculturelles dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau modèle économique qui régira l’action gouvernementale durant la prochaine décennie.
La présente réflexion s’intéresse donc à la typologie des unités de production qui devront être mobilisées dans le cadre de la mise en œuvre de la SND30 afin d’en assurer l’efficacité, dans un contexte marqué par de multiples crises (sanitaire, sécuritaire, économique, financière, politique, etc.) et une aspiration légitime et de plus en plus pressante au bien-être et à des conditions de vie meilleures, manifestée par la population. La question centrale est alors : dans quelle mesure le secteur informel constituerait une opportunité ou une menace pour l’atteinte des objectifs de la SND30 ?
Nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à cette question en opérant dans un premier temps une analyse critique de certains concepts clés (entreprise, secteur informel et transformation structurelle), afin d’en relever les limites conceptuelles par rapport au contexte socioculturel du Cameroun. Nous étudierons ensuite la typologie des unités de production exerçant au Cameroun, afin de mettre en évidence les dynamiques structurelles du secteur informel et son impact systémique réel. Enfin, en guise de conclusion, nous formulerons des hypothèses et des recommandations allant dans le sens de transformer le secteur informel en levier de croissance économique.
Le concept d’entreprise
Le concept d’entreprise s’est progressivement enrichi depuis la révolution industrielle, en
s’éloignant progressivement du modèle mathématique initial (entreprise = homo economicus)
pour se rapprocher de plus en plus du modèle socio-anthropologique, fondé sur les influences culturelles, les interactions sociales et le rapport à la nature. Cependant, cette évolution n’a pas remis fondamentalement en cause l’hypothèse centrale de la rationalité prêtée à l’entreprise en tant qu’agent économique par les précurseurs de la pensée économique moderne, même si elle reste fortement discutée depuis le début du 20ème siècle.
L’entreprise a ainsi toujours été réduite dans la théorie économique soit à un agent individuel
maximisant mécaniquement son profit, soit à un nœud de contrat ou enfin à un système de
compétences. Dans les trois cas, le concept théorique de l’entreprise renvoie à l’idée d’une
entité vivante, juridiquement autonome et dotée d’organes fonctionnels dont l’activité de
production de biens et/ou services permet d’atteindre un objectif précis, généralement le profit. Les dimensions sociales et environnementales sont donc totalement reléguées à une dimension secondaire, voire accessoire.
Or, dans le contexte africain, l’entreprise correspond davantage à ce que Serge LENGA décrit comme étant « une entité qui se caractérise par un principe de solidarité dans son fonctionnement, un mode de gestion collectif, un processus de prise de décision de type consensuel, une pérennité adossée à la cohésion sociale et une trajectoire expansionniste limitée. »
L’unité de production de biens et services apparait alors davantage comme une composante de l’organisation sociale, sans statut particulier sur le plan juridique, et encore moins sur le plan administratif, dont l’objet et la nature des activités varient dans le temps et dans l’espace suivant les besoins du groupe social concerné.
Le concept de secteur informel
La 15ème Conférence Internationale des Statisticiens du Travail (CIST) de 1993 a permis de
définir le secteur informel « comme un ensemble d’unités produisant des biens et des services en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités, ayant un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme » [BIT, 1993b].
Cette première approche conceptuelle du secteur informel trahit bien la nette influence de la
pensée économique d’Adam Smith sur la division internationale du travail, qui postule la
spécialisation de certains pays dans des branches de production distinctes, que ce soit dans
certains produits ou dans certaines parties du processus de production.
Ce concept traduit de façon implicite la préférence pour un modèle économique et social inspiré du capitalisme, dans lequel les capitaux, source de revenu, les moyens de production et d’échange n’appartiennent pas à ceux qui les mettent en œuvre par leur propre travail. Ce qui est totalement contraire au modèle économique dominant en Afrique et incarné par les unités de production informelles.
La Conférence a également proposé une définition statistique-opérationnelle : le secteur
informel est considéré comme un ensemble d’unités de production qui constituent un élément,
au sein du Système de Comptabilité Nationale (SCN), du secteur institutionnel des ménages en tant qu’entreprises individuelles.
Cette seconde approche du concept du secteur informel vient confirmer la prégnance de la
dimension sociale dans les processus de production de biens et services en contexte africain, et permet de relever les dynamiques structurelles de ce modèle économique fondé sur la solidité des liens communautaires et culturels et par conséquent, moins exposé aux crises exogènes.
Cependant, en décidant d’assimiler les unités de production informelles aux ménages, la
Conférence Internationale des Statisticiens du Travail a mécaniquement amputé les économies africaines de la partie la plus consistante de leur tissu économique, simplement parce qu’elle ne disposait pas d’outils permettant de valoriser de façon distinctive les activités de ces entités.
Le concept de transformation structurelle
La transformation structurelle, selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA), est
définie comme l’ensemble des changements fondamentaux dans les structures économiques et sociales qui favorisent un développement équitable et durable. Il s’agit d’un processus fondamental et multidimensionnel observé dans tous les pays ayant atteint des niveaux de développement élevés, auquel on parvient à travers notamment l’industrialisation, la diversification économique et la modernisation technologique, la création d’emplois décents et productifs et un développement social équitable.
Ce nouveau cadre de référence marque un point final à l’approche traditionnelle du
développement qui a consacré les pays africains en général, le Cameroun en particulier, comme fournisseurs de matières premières, avec des conséquences évidentes en termes de gouvernance sociétale, d’éducation, d’infrastructures prioritaires, de formation professionnelle, etc. Cette vision primaire de la spécialisation des économies africaines a exclu celles-ci des sources réelles de croissance économique, caractérisées par la recherche scientifique, l’innovation, le développement technologique et l’industrialisation des processus de production
Le choix stratégique de la transformation structurelle de l’économie camerounaise s’inscrit par
ailleurs en droite ligne de la vision de développement défendue par l’Union africaine (UA) et
les agences de développement du système des Nations Unies, qui promeuvent l’intégration des économies du continent afin qu’elles puissent participer plus pleinement à l’économie mondiale et aux opportunités régionales. Cela se traduira par la consolidation des initiatives régionales existantes et nouvelles, telles que le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et l’Accord établissant la zone de libre-échange continental africain (ZLECAF).
L’analyse critique des concepts clés convoqués dans cette réflexion permet ainsi de relever
d’une part, la nécessité d’une contribution scientifique africaine plus importante dans tous les
domaines afférents au processus de transformation structurelle ; et d’autre part, l’urgence de
capitaliser les atouts du modèle économique et social dominant en Afrique, incarné par les
unités de production informelles, considérées par les bailleurs de fonds comme « un reste du
précapitalisme voué à la disparition », selon une analyse de Géneviève Causse (2018).
Typologie des unités de production : atouts et faiblesses pour la SND30
Les organisations africaines constituent un vaste champ de recherche depuis plusieurs
décennies, mais sont généralement toujours abordées sous le prisme des théories importées
(classiques et néoclassiques). Ce qui occulte de fait l’existence d’un modèle social et économique africain antérieur à la révolution industrielle du 18ème siècle et apte à inspirer un
modèle de développement économique qui privilégie le bien-être humain et la protection de la nature.
Il est ainsi courant d’effectuer le diagnostic des organisations africaines en se référant à des
outils et des modes opératoires inadaptés au contexte socioculturel concerné, la ligne de
démarcation étant généralement le rapport à l’autre et à la nature. Dans ce sens, la classification proposée par KOANDA M. dans sa thèse en finance soutenue en 2005, nous a semblée plus réaliste pour servir de cadre d’analyse comparative des différents types d’unités de production exerçant au Cameroun. L’auteur élabore une typologie dont les principaux critères sont:
- les droits de propriété : qui est propriétaire ? les droits sont-ils exclusifs ou transférables
- l’exercice des fonctions entrepreneuriales (décision (ou prise de risque) et contrôle) : confusion ou séparation de ces fonctions ?
- la plus ou moins forte pression communautaire ;
- les problèmes d’agence possibles entre propriétaires et dirigeants
Partant de ces critères, on trouve les trois catégories suivantes : les entreprises publiques, les entreprises « contrôlées » et les entreprises « communautaires ». L’analyse comparative de ces trois catégories d’unités de production portera sur les aspects stratégiques, opérationnels et financiers en lien avec les objectifs de la SND30.
Les entreprises publiques
Les entreprises publiques sont celles dans lesquelles la propriété est entre les mains de l’Etat, les fonctions de décision et de contrôle sont séparées, des pressions communautaires sont possibles (clientélisme politique), des problèmes d’agence peuvent exister entre les dirigeants et l’Etat.
Sur le plan stratégique, le Cameroun compte une quarantaine d’entreprises et établissements publics répartis dans les trois secteurs d’activités (primaire, secondaire et tertiaire), qui sontsusceptibles d’impacter durablement la transformation structurelle du Cameroun. On peut également observer qu’elles sont en grande majorité très anciennes et par conséquent sont supposées avoir atteint la phase de maturité dans leur croissance. Cependant, malgré le potentiel d’impact systémique qu’elles représentent, ces entités restent minées par des problèmes de gouvernance qui les dévient totalement de leurs objectifs respectifs de développement économique et social.
Sur le plan opérationnel, les entreprises et établissements publics emploient en moyenne quarante mille (40 000) personnes et ont généré un chiffre d’affaires en 2018 de FCFA 1 223 milliards, soit une augmentation d’environ 11% entre 2016 et 2017 et de 0,5% entre 2017 et 2018. Le secteur des hydrocarbures contribue à 53% à ce chiffre d’affaires global. Il est suivi avec un écart important par les secteurs Agriculture/Elevage/Agro-industrie ; Industrie et Commerce ; Etablissements Financiers, Transports Maritime, Poste et Télécommunication dont les chiffres d’affaires combinés par secteur sont supérieurs à FCFA
100 milliards (source : Rapport CTR 2018).
Sur le plan financier, le Comité Technique de Réhabilitation (CTR), en charge du suivi et du contrôle de ces entités, relève dans son rapport 2018 que les entreprises publiques au Cameroun présentent une situation globale mitigée. Sur la quarantaine de structures publiques, seulement une quinzaine affiche des résultats excédentaires. De telles performances exposent malheureusement l’Etat à des risques budgétaires importants et le condamnent à une affectation continue de subventions dont l’efficacité pour la transformation structurelle de l’économie reste à démontrer.
Les entreprises contrôlées
Les entreprises « contrôlées » sont celles dans lesquelles : la propriété est concentrée dans les mains d’un actionnaire majoritaire, d’un groupe, ou d’une autre entreprise (filiales), les fonctions entrepreneuriales, décision et contrôle, sont séparées, l’impact de la communauté est atténué par les mécanismes de contrôle, des conflits d’intérêts sont possibles entre les dirigeants et les propriétaires.
Cette catégorie correspond aux deux segments de grandes et moyennes entreprises, suivant la classification de la loi n° 2015/010 du 16 juillet 2015 modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi n° 2010/001 du 13 avril 2010 portant promotion des PME. Au titre de ladite loi, les entreprises peuvent être classées en 4 grandes catégories, dont les principales caractéristiques de catégorisation sont les suivantes : Très Petite Entreprise (TPE) : 5 employés au plus et chiffre d’affaires inférieur à 15 millions de FCFA ; Petite Entreprise (PE) : entre 6 et 20 employés et chiffre d’affaires compris entre 15 et 250 millions de FCFA ; Moyenne Entreprise (ME) : entre 21 et 100 employés et chiffre d’affaires supérieur à 250 millions et inférieur ou égal à 3 milliards de FCFA ; Grande Entreprise (GE) : Plus de 100 employés et chiffre d’affaires supérieur 3 milliards de FCFA. Cette classification ne s’applique qu’aux entreprises dites formelles, c’est-à-dire légalement créées et déclarées auprès des administrations fiscales et sociales.
Sur le plan stratégique, les entreprises contrôlées (grandes et moyennes) représentent respectivement 0,2% et 1,2% du nombre total d’entreprises formelles (Source : INS/RGE-2), soit 307 grandes entreprises et 2 439 moyennes entreprises ; et elles opèrent de façon plus importante dans les secteurs secondaire (Industries extractive, agroalimentaire et manufacturière, eau, électricité, gaz, BTP) et tertiaire (Commerce, Information et Télécommunications, Banques,
Transport, Hébergement et restauration, Autres Services) et interviennent faiblement dans le secteur primaire (Agriculture, Sylviculture et Exploitation forestière).
Sur le plan opérationnel, les statistiques disponibles (INS/RGE-2) montrent qu’en 2015, les entreprises contrôlées ont réalisé 76,2% du chiffre d’affaires, soit FCFA 10 170 Milliards sur un total de FCFA 13 347 milliards, dont 66% pour les grandes entreprises, soit FCFA 8 809 Milliards et 10,2% pour les moyennes entreprises, soit FCFA 1 361 milliards. Cette catégorie d’entreprises représente donc pour l’Etat la principale source de recettes fiscales, avec une contribution de 53,7% des entreprises du secteur secondaire, 45,4% du secteur tertiaire et 0,9% du secteur primaire (Rapport annuel 2018 DGI).
S’agissant des emplois, les entreprises contrôlées occupent moins de 30% des employés du secteur privé, soit 200 000 environ sur un total de 666 364 personnes enregistrées en 2015. Comparé à la population active estimée à 10 098 411 au cours de la même période, le nombre d’employés des entreprises contrôlées apparaît presqu’insignifiant, malgré leur contribution fiscale très remarquable. Ce qui traduit d’ailleurs le caractère très embryonnaire de l’économie
camerounaise, si l’on se réfère au modèle économique en vigueur.
Sur le plan financier, les entreprises contrôlées représentent la catégorie la plus performante et la plus efficace en matière de production de revenus et de contributions fiscales. Elles offrent par conséquent plus de facilités pour le développement des investissements par le financement bancaire, boursier ou étranger. A titre d’illustration, les parts de crédit en valeurs relatives des entreprises contrôlées (GE et ME) sont estimées à 65,27% en 2019, soit FCFA 2 301 Milliards, sur un volume global de crédit bancaire à l’économie estimé à FCFA 4 175 Milliards, dont FCFA 3 525 Milliards venant des établissements de crédit, FCFA 150 Milliards venant des établissements financiers et FCFA 500 Milliards venant des établissements de microfinance.
Sur le plan stratégique, le Cameroun compte une quarantaine d’entreprises et établissements publics répartis dans les trois secteurs d’activités (primaire, secondaire et tertiaire), qui sont susceptibles d’impacter durablement la transformation structurelle du Cameroun. On peut également observer qu’elles sont en grande majorité très anciennes et par conséquent sont supposées avoir atteint la phase de maturité dans leur croissance. Cependant, malgré le potentiel d’impact systémique qu’elles représentent, ces entités restent minées par des problèmes de gouvernance qui les dévient totalement de leurs objectifs respectifs de développement économique et social.
Sur le plan opérationnel, les entreprises et établissements publics emploient en moyenne quarante mille (40 000) personnes et ont généré un chiffre d’affaires en 2018 de FCFA 1 223 milliards, soit une augmentation d’environ 11% entre 2016 et 2017 et de 0,5% entre 2017 et 2018. Le secteur des hydrocarbures contribue à 53% à ce chiffre d’affaires global. Il est suivi avec un écart important par les secteurs Agriculture/Elevage/Agro-industrie ; Industrie et Commerce ; Etablissements Financiers, Transports Maritime, Poste et Télécommunication dont les chiffres d’affaires combinés par secteur sont supérieurs à FCFA
100 milliards (source : Rapport CTR 2018).
Sur le plan financier, le Comité Technique de Réhabilitation (CTR), en charge du suivi et du contrôle de ces entités, relève dans son rapport 2018 que les entreprises publiques au Cameroun présentent une situation globale mitigée. Sur la quarantaine de structures publiques, seulement une quinzaine affiche des résultats excédentaires. De telles performances exposent malheureusement l’Etat à des risques budgétaires importants et le condamnent à une affectation continue de subventions dont l’efficacité pour la transformation structurelle de l’économie reste à démontrer.
Les entreprises « communautaires »
Les entreprises dites « communautaires » sont celles dans lesquelles : la propriété est concentrée dans les mains du dirigeant propriétaire ou actionnaire majoritaire, les fonctions de décision et de contrôle ne sont pas séparées, l’impact de la communauté est très fort, des conflits d’intérêts « claniques » sont possibles.
Cette catégorie correspond aussi bien aux segments des petites entreprises (PE) et très petites entreprises (TPE) formelles qu’à toutes les entités informelles exerçant une activité économique.
Sur le plan stratégique, les entreprises communautaires formelles exercent à plus de 84% dans le secteur tertiaire, soit plus de 53% spécifiquement dans le commerce. 15,6% œuvrent dans le secteur secondaire et à peine 0,2% dans le secteur primaire. Il importe de rappeler à ce niveau que le secteur tertiaire emploie près de 500 000 personnes, soit 74,3% des emplois. Il est suivi par le secteur secondaire avec 20% des emplois et le secteur primaire avec 5,7%.
Cette faible représentation dans le secteur primaire formelle met en exergue les limites du modèle statistique exploité qui, en l’absence d’outils adaptés au contexte socioculturel camerounais, exclut tous les petits exploitants agricoles qui représentent pourtant la grande masse de la population active.
S’agissant des entreprises communautaires formelles, les PE et TPE représentent 98,6% du nombre total d’entreprises recensées en 2015 (203 387), dont 79,2% de TPE (161 082) et 19,4% de PE (39 457). Elles exercent presque toutes sous la forme d’Entreprises Individuelles, totalement contrôlées par le dirigeant-propriétaire et fortement encastrées dans la communauté à travers des liens financiers, opérationnels et commerciaux. Le même modèle est observé dans les entités informelles, à la seule différence que ces dernières ne font pas l’objet d’une déclaration officielle de leurs activités économiques.
Sur le plan opérationnel, les parts de chiffre d’affaires des entreprises communautaires formelles ne représentent que 23,8% du total, soit FCFA 3 177 Milliards, dont FCFA 1 543 milliards pour les PE (11,56%) et FCFA 1 634 milliards pour les TPE (12,24%). Ces entités emploient pourtant plus de 70% du personnel du secteur privé, soit plus de 466 000 personnes suivant les statistiques de 2015. Ce qui permet de déduire que plus de 9 millions de personnes exercent dans des entités informelles ou en bénéficient de façon indirecte, en tenant compte des emplois officiels au niveau des secteurs publics et privés pris dans l’ensemble.
Sur le plan financier, les entreprises communautaires présentent un faible attrait tant pour l’administration que pour les institutions financières. Du point de vue fiscal, leur contribution reste marginale par rapport à celle des entreprises contrôlées. Plus de 60% d’entreprises sont assujetties à l’impôt libératoire et plus de 22% ne déclarent pas régulièrement leurs activités.
S’agissant des financements, les PE et TPE bénéficient à peine de 5,30% des crédits accordés par le marché bancaire, soit FCFA 187 Milliards sur la période 2019.
Conclusion
En ce début d’année 2021, la conjoncture économique est fortement marquée par la crise
sanitaire provoquée par le coronavirus (COVID-19), avec comme conséquence une récession annoncée de -3,5% pour le compte de l’exercice 2020, contre un taux de croissance initialement prévu à 3,8%. Grâce aux efforts de toutes les parties prenantes au niveau national et international, le Cameroun pourrait atteindre un taux de croissance de 3,3% en 2021, bien inférieur à la moyenne de 5,6% de croissance prévue par la SND30 sur la période 2020-2030.
Dans de telles conditions, et eu égard aux développements précédents, quelques hypothèses peuvent être formulées pour savoir dans quelle mesure le secteur informel constituerait une opportunité plutôt qu’une menace, pour l’atteinte des objectifs de la SND30.
Hypothèse 1 : Les concepts théoriques qui ont inspiré la SND30 excluent à tort le secteur informel du champ des unités de production à mobiliser pour l’atteinte des objectifs de développement économique et social.
Hypothèse 2 : La prise en compte des critères socioculturels propres au Cameroun permet de conceptualiser les entreprises communautaires et de les distinguer des ménages en vulgarisant la pratique de la comptabilité au sein de ces entités. Ces deux hypothèses permettent de relever qu’en l’état actuel des choses, la SND30 a été privée d’un levier structurel important qui peut être activé si certaines conditions sont remplies. Les recommandations ci-après ouvrent la réflexion sur quelques pistes à développer pour transformer le secteur informel en puissant contributeur à la réalisation des objectifs de la SND30.
Recommandation 1 : Le secteur informel étant entretenu par une dynamique sociale et culturelle très forte, il serait plus efficace pour le Gouvernement de saisir l’opportunité d’une mobilisation plus large et plus rapide des entreprises communautaires, en différentiant les processus de formalisation de ceux de fiscalisation. L’avantage d’une telle approche est double : premièrement elle facilite la collecte d’une information fiable sur les ménages et la nature des activités qui leur procurent des revenus ; et deuxièmement, elle permet de concevoir, au fur et à mesure que l’information est agrégée, une stratégie d’appui et de développement des entreprises communautaires en se référant à leurs propres objectifs, qui participent au final de ceux de la SND30.
Recommandation 2 : Le dispositif institutionnel de la décentralisation (Régions, Département, Arrondissement, Communes) devrait servir de cadre opérationnel pour la collecte des informations sur les ménages, l’identification des activités des entreprises communautaires, la mise à niveau de leurs dirigeants-propriétaires et employés (éducation financière et vulgarisation de la comptabilité), la structuration des chaînes de valeur et le développement de mécanismes de financement adaptés. Il ne s’agit plus d’imposer des solutions toute faites à des organisations qui en sont incompatibles, mais de dynamiser et de structurer les unités de production existantes afin de les intégrer progressivement et durablement au système économique national.
A l’instar de l’intelligence politique qui a conduit à intégrer les Chefs traditionnels dans les Conseils régionaux, l’intelligence économique doit pouvoir valoriser toute activité économique réalisée par tout camerounais sur toute l’étendue du territoire. Et pour y parvenir, des outils modernes et adaptés au contexte socioéconomique du Cameroun existent.