QUEL RÔLE POUR LA BEAC DANS LA PERSPECTIVE INEVITABLE DE CRISE ECONOMIQUE ET FINANCIERE POST COVID-19 ?
Résumé
La situation économique des pays d’Afrique subsaharienne, et précisément de l’Afrique centrale, est marquée par une profonde fracture entre la société traditionnelle et la société moderne, représentées respectivement par le secteur informel qui emploie 90% de la population active et le secteur formel qui, malgré son faible impact social, bénéficie presqu’exclusivement de l’attention des Etats. Sur le plan monétaire, cette fracture se matérialise par une forte dépendance extérieure de l’économie, aggravée par l’incapacité de la banque centrale à jouer pleinement son rôle en matière d’appui au développement du tissu économique local, taxé d’informel, et par conséquent non-bancable. La pression démographique et l’aspiration légitime des populations à plus d’aisance matérielle et à un bien-être moral, physique et spirituel, laissent de moins en moins de marge de manœuvre aux, Autorités monétaires, forcés de trouver des solutions innovantes pour engager la transformation structurelle de l’économie. La crise sanitaire liée au COVID-19, et ses conséquences économiques et financières, offrent à toutes les parties prenantes une fenêtre d’opportunité sans précédent, pour inverser le sens des perspectives catastrophiques annoncées.
QUEL RÔLE POUR LA BEAC DANS LA PERSPECTIVE INEVITABLE DE CRISE ECONOMIQUE ET FINANCIERE POST COVID-19 ?
La Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) est dans l’œil du cyclone de la dévaluation du Franc CFA depuis plusieurs années maintenant. Et pour cause, elle constitue l’un des piliers du dispositif de mise en œuvre des conventions de coopération qui lient 14 pays d’Afrique sub-saharienne, les Comores et la France, dans le cadre de la zone Franc.
En effet, la Convention régissant l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC) et les Statuts de la BEAC confèrent à l’Institut d’Emission commun les pouvoirs de formulation et de mise en œuvre de la politique monétaire dans le cadre général des dispositions de la Zone Franc.
Au terme du sommet extraordinaire de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), tenu le 22 novembre 2019, à Yaoundé, au Cameroun, les chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres, notamment le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, ont réaffirmé, en rapport avec l’avenir du franc CFA, leur volonté de disposer d’une monnaie commune stable et forte. Concernant particulièrement la coopération monétaire avec la France, ils ont décidé d’engager une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d’une nouvelle coopération.
A cet effet, ils ont chargé la Commission de la CEMAC et la BEAC de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié conduisant à l’évolution d’une monnaie.
La crise sanitaire provoquée par le coronavirus (COVID-19), apparu le 08 décembre 2019 en Chine, à Wuhan, et ses conséquences économiques et financières inévitables, viennent amplifier l’urgence de la mise en œuvre d’une politique monétaire flexible au sein de l’UMAC, visant notamment à assurer les meilleures conditions pour une contribution efficace à un développement des économies locales et des échanges commerciaux de la sous-région.
Dans un communiqué publié par le 29 Avril 2020, la BEAC informe l’opinion publique que le Conseil d’Administration de l’institution d’émission a souligné que les économies de la CEMAC seraient inéluctablement affectées par la pandémie du COVID-19. A cet égard, il a salué la pertinence des mesures prescrites par le Comité de Politique Monétaire de la BEAC afin d’atténuer les effets économiques et financiers de la crise, principalement sur la liquidité des banques. Ce qui n’occulte pas pour autant les craintes d’une dévaluation possible du FCA.
En se référant à l’économie camerounaise, le présent article a pour objectif de rappeler le caractère exceptionnel que représente la fenêtre d’opportunité ouverte par la pandémie du COVID-19 pour faire évoluer le Franc CFA, sans compromettre la qualité des relations entretenues avec les partenaires traditionnels que sont la France, l’Union Européenne, le FMI et la Banque Mondiale.
A cet effet, nous rappellerons brièvement dans une première partie, pour en relever les limites, les éléments institutionnels encadrant les mesures prises par les autorités monétaires pour faire face aux effets du Covid-19 ; avant de tenter, dans la seconde partie, une évaluation prospective de l’impact économique et financier de la crise sanitaire du COVID-19 sur l’économie camerounaise. Dans la troisième partie enfin, nous projetterons la piste de l’institution de la monnaie binaire comme mécanisme conduisant à l’évolution de la monnaie commune des Etats de l’UMAC.
Rappel des éléments institutionnels encadrant les mesures prises par les autorités monétaires pour faire face aux effets du Covid-19
La Zone franc regroupe 14 pays d’Afrique sub-saharienne, les Comores et la France. Bâtie sur les liens historiques étroits qui unissent la France aux pays africains, la Zone franc est issue de la volonté commune de ces pays de maintenir un cadre institutionnel qui a contribué à la stabilité du cadre macroéconomique.
En 1959, les pays d’Afrique de l’Ouest se sont associés au sein de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), créée en remplacement de l’institut d’émission de l’Afrique Occidentale Française et du Togo. La même année, les pays d’Afrique centrale ont créé la Banque Centrale équatoriale et du Cameroun (BCEAEC), qui deviendra dix années plus tard la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC). La Banque Centrale des Comores a, quant à elle, succédé à l’Institut d’émission des Comores en 1981.
Les francs CFA et comorien ont été jusqu’au 1er janvier 1999 ancrés au franc français. Dès
l’adoption de l’euro, la monnaie européenne a remplacé le franc comme ancre monétaire des
francs CFA et comorien, sans que les mécanismes de coopération monétaire de la zone en soient affectés. La coopération monétaire entre la France et les pays africains de la Zone franc est régie par quatre principes fondamentaux :
- Garantie de convertibilité illimitée apportée par le Trésor français ;
- Fixité des parités ;
- Libre transférabilité ;
- Et centralisation des réserves de change.
En contrepartie de la garantie du Trésor français, les trois banques centrales sont tenues de
déposer une partie (50%) de leurs réserves de change sur un compte dit « d’opérations », ouvert dans les livres du Trésor.
Le 31 décembre 1998, le Conseil de l’Union européenne a fixé le taux de conversion irrévocable entre l’euro et le franc français (1 euro = 6,55957 FF). Ce taux a déterminé automatiquement la valeur de l’euro en franc CFA et en franc comorien. Comme le franc CFA s’échangeait en franc français au taux de 100 FCFA pour un 1 FRF, la parité du franc CFA est désormais de 1 euro = 655,957 FCFA. La substitution de l’euro au franc français comme ancre monétaire du franc CFA et du franc comorien n’a donc donné lieu à aucune modification de la parité de ces monnaies.
La France et les autres pays signataires des accords de la Zone franc demeurent les seuls responsables de leur mise en œuvre. Ceci implique notamment que les modifications éventuelles de la parité entre l’euro et les francs CFA et comorien relèvent de la seule responsabilité des États membres de la Zone franc. Les autorités françaises devront toutefois informer le Comité Economique et Financier (CEF) de l’Union européenne préalablement à toute modification de parité et tenir la Commission, la Banque Centrale Européenne (BCE) et le CEF régulièrement informés de la mise en œuvre de ces accords.
Une décision du Conseil de l’Union européenne n’est nécessaire que dans deux cas seulement : soit lors d’un changement de la portée des accords (admission d’un nouvel État), soit en cas de modification de la nature même de l’accord (par exemple une remise en cause du principe de garantie par l’État français de la convertibilité à parité fixe des francs CFA et comorien). Toute autre modification demeure de la compétence exclusive des États membres de la Zone Franc.
Eu égard à ce qui précède, l’intelligence de la situation commande que les Etats membres de la Zone Franc, face à la crise économique et financière mondiale qui se dessine, envisagent des mesures qui n’engageraient pas tout de suite une modification de la nature de la convention qui les lie à la France, l’aboutissement d’une telle initiative ne pouvant être maîtrisé dans le temps
C’est probablement la raison pour laquelle, les Autorités monétaires de la CEMAC se sont
limitées jusqu’ici à des mesures d’ordre conjoncturel, plutôt que des mesures structurelles
pouvant remettre en cause les accords avec la France. Qu’il s’agisse de la BEAC, la BDEAC la COBAC ou l’ensemble des institutions financières de la zone, les mesures prises n’apportent pas de véritables solutions structurelles permettant de faire face aux conséquences dévastatrices de la crise économique et financière que provoquera la pandémie COVID-19, dans la zone CEMAC et à travers le monde.
Ces mesures se cantonnent notamment à : (i) la mise à disposition des liquidités
complémentaires aux institutions financières ; (ii) la mobilisation des institutions financières et des partenaires au développement en vue d’accroître les ressources budgétaires des Etats pour faire face aux trois chocs : sanitaire, économique et sécuritaire ; (iii) l’anticipation des risques inhérents à la crise économique et financière auxquels les entreprises seraient exposées ;le renforcement du dispositif de contrôle interne des institutions financières ; (v) la mobilisation des banques nationales en vue d’un plus large financement des entreprises, notamment des PME/PMI.
Dans le rapport de politique monétaire du premier trimestre 2020 publié par la BEAC le 27
Avril 2020, les Autorités monétaires font pourtant le constat que, en se référant aux perspectives de l’économie mondiale, publiées en avril 2020 par le FMI, les prévisions optimistes de croissance économique annoncées en début d’année 2020, sont actuellement remises en cause par une série de chocs, dont la pandémie du Coronavirus (COVID-19), la chute du prix des hydrocarbures consécutivement à la mésentente entre les principaux producteurs sur les quotas de production et l’instabilité des marchés financiers. Elles anticipent désormais une récession économique mondiale, avec en Afrique subsaharienne, le PIB réel qui fléchirait de 1,6 % en 2020, contre 3,1 % en 2019, pour ensuite s’élever à 4,1 % en 2021. Malheureusement, face à des perspectives aussi sombres, les mesures prises par les Autorités monétaires demeurent purement conservatoires, dans un environnement économique qui exige une transformation structurelle et appelle par conséquent une politique monétaire plus volontariste et novatrice.
Cet état de fait tend à accorder du crédit à la tribune de Dominique Strauss-Kahn (DSK), ancien ministre français de l’Économie et des Finances, ancien directeur-général du FMI, publiée dans le blog du Club des juristes 10 Avril 2020. En traitant des limites de l’action monétaire, DSK commence par saluer la riposte occidentale à la crise, qui a commencé à travers les banques centrales qui, selon lui, jouent leur rôle en inondant le marché de liquidités. Il souligne que contrairement à la crise de 2008, ces dernières se sont montrées particulièrement rapides et coordonnées, mais il estime que ceci n’atteindra que par ricochet les économies émergentes qui ne disposent pas d’une banque centrale susceptible de remplir ce rôle. En revanche, selon DSK, il est possible d’utiliser un mécanisme qui a déjà fait preuve de son efficacité dans la crise financière mondiale : les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI.
Or, si les pays membres de la CEMAC s’engagent de nouveau dans le cycle infernal de
l’endettement, ils perdront une fois de plus et durablement le contrôle de leur levier monétaire et par conséquent, leur capacité fondamentale à implémenter des politiques efficaces de transformation structurelle de leurs économies respectives, en s’inspirant de leur propre contexte socioéconomique, pour concevoir des politiques de développement viables et aptes à assurer l’amélioration des conditions de vie de leurs populations jeunes, dynamiques et fortement demandeuses de plus d’aisance matérielle.
Le Cameroun, en tant que locomotive économique de la zone CEMAC, porte une très grande responsabilité dans les décisions à prendre sur le plan monétaire. Les pressions sécuritaires internes et externes auxquelles le pays est confronté, amplifiées par une crise sociale rampante, lui imposent de relancer urgemment son économie, s’il tient à conserver son leadership sur les cinq autres pays, dont une part importante des flux commerciaux transite par le Cameroun.
Evaluation prospective de l’impact économique et financier de la crise sanitaire du Covid-19 sur l’économie camerounaise
Les conclusions des Autorités monétaires quant aux perspectives économiques et financières sont sans équivoque. La crise sanitaire mondiale due à la pandémie du COVID-19, associée à la chute des cours des matières, notamment du pétrole brut, entraîneraient une forte détérioration des termes de l’échange, une récession généralisée des activités économiques, un creusement des déficits extérieur et courant et une dégradation de la situation monétaire.
Pour conjurer ces effets néfastes potentiels, la principale mesure prise par la BEAC, pour soutenir l’économie, est celle de procéder par des injections de liquidité via le secteur bancaire. Cependant, dans une économie aussi extravertie que celle du Cameroun, « les injections massives et non contrôlées de la liquidité par la Banque Centrale se traduisent généralement par une dégradation de la stabilité externe de la monnaie, avec pour corollaire la montée des pressions inflationnistes et la chute des réserves de change, et donc la chute du pouvoir d’achat des agents économiques et une paupérisation accrue », comme relevé fort opportunément dans le rapport de politique publié le 27 Avril 2020. Ce qui met en évidence les limites intrinsèques de cette mesure et ses limites structurelles.
Les conséquences économiques et financières de la crise sanitaire provoquée par le COVID-19 sont donc indéniables, mais restent difficilement quantifiables, aussi bien au Cameroun que dans le reste du monde. Du fait des incertitudes entretenues, de la réduction de la mobilité des personnes ou de l’arrêt pur et simple de certaines activités, l’impact observable à court terme se traduira notamment par un ralentissement des investissements, une forte érosion de la production des entreprises et de leur chiffre d’affaires, une forte dégradation du portefeuille crédits des institutions financières, etc.
Dans le cas spécifique du Cameroun, la première caractéristique du marché des entreprises est l’importance relative du secteur informel qui occupe la plus grande masse des PME, et dont les contributions sociales et fiscales échappent aux caisses de l’Etat, autant que l’encadrement des acteurs qui y exercent est rendu extrêmement difficile, en l’absence d’outils adaptés.
La seconde caractéristique, portant sur le secteur formel, révèle d’une part, une surpopulation d’entreprises dans le secteur tertiaire (84,1%), et notamment dans le sous-secteur Commerce qui enregistre 51,4% du nombre total d’entreprises et, d’autre part, une domination des grandes entreprises dans la structure du chiffre d’affaires, avec 66% des parts, alors qu’elles ne représentent qu’une population de 0,2%, soit 307 entreprises sur 203 287. Les PME quant à elles contribuent à 34% au total du chiffre d’affaires et représentent 99,8% en nombre d’entreprises, dont 79,1% de TPE. (Source : Recensement Général des entreprises RGE-2016)
Le secteur bancaire quant à lui accusait déjà une dégradation importante de son portefeuille de crédit avant la crise COVID-19, avec environ FCFA 579 Milliards de créances en souffrance courant 2019 (13,86% du total des crédits), dues en majorité par les grandes et moyennes entreprises, les PE et TPE se finançant essentiellement par des voies alternatives informelles (autofinancement, tontines, appuis familiaux, associatifs, bref love-money, etc.). Le volume global de crédit bancaire à l’économie était estimé sur la même période à FCFA 4 175 Milliards, dont FCFA 3 525 Milliards venant des établissements de crédit, FCFA 150 Milliards venant des établissements financiers et FCFA 500 Milliards venant des établissements de microfinance. Les parts de crédit en valeurs relatives des entreprises de type GE et ME sont estimées à 65,27% en 2019, soit FCFA 2 301 Milliards ; contre 5,30%, soit FCFA 187 Milliards pour les PE et TPE.
La crise sanitaire aura pour conséquence d’aggraver cette situation déjà préoccupante, dans des proportions incommensurables, en l’état actuel des informations disponibles et des mesures prises par le Gouvernement et les Autorités monétaires.
Pour tenter d’en évaluer les premières conséquences économiques et financières, il convient de rappeler d’une part, que le premier cas confirmé de Covid-19 a été déclaré au Cameroun le 21 février 2020, pratiquement deux mois après le début de la pandémie et, d’autre part, qu’entre le 18 Mars 2020, date d’application des premières mesures contraignantes prises par le Gouvernement dans le cadre de la stratégie de riposte face à cette pandémie, et ce jour 30 Avril 2020, où elles ont été considérablement allégées, 6 semaines exactement se sont écoulées.
Rapporté aux 52 semaines de l’exercice 2020, les 6 semaines de restriction correspondent à 12% du volume annuel d’activité, sous réserve du caractère saisonnier de certaines activités. Durant cette période, les pertes en termes de de chiffre d’affaires (CA) sont estimées entre 30% et 90% suivant la nature de l’activité exercée. On peut donc évaluer de façon grossière un taux moyen de perte de CA de 60%, soit FCFA 1 170 Milliards sur les FCFA 16 239 Milliards de CA prévisionnel des entreprises du secteur formel en 2020, en extrapolant de la base de FCFA 15 014 Milliards, ressortie par l’INS dans le cadre du recensement général des entreprises de 2016. Pour l’Etat, cela correspond à une volatilisation de FCFA 225 Milliards de TVA et FCFA 26 Milliards d’IS.
Les conséquences pour les banques doivent être évaluées selon les sous-secteurs d’activités et les entreprises concernées, en tenant compte de la nature des engagements, des perspectives d’activités à court et moyen termes et des garanties disponibles.
Les entreprises les plus touchées localement se recrutent notamment dans le transport, la restauration, l’hôtellerie, le divertissement, le commerce, les services, les produits d’exportation, avec une incidence directe sur les activités industrielles, agricoles et extractives, dont la demande locale et internationale se trouve ainsi fortement réduite. Elles représentent plus de 90% du tissu économique formel, sur lequel l’Etat prélève les impôts et taxes.
Compte tenu du caractère particulièrement extraverti de l’économie camerounaise, on peut s’attendre à une reprise très lente des activités pour un grand nombre de ces entreprises, malgré les mesures de détente prises par le Président de la République ce 30 Avril 2020. L’incidence financière relevée précédemment pourrait alors être multipliée, en fonction du rythme de la reprise des activités commerciales au niveau international.
Ce qui peut expliquer que les entreprises soient en incapacité d’honorer leurs engagements bancaires dans les délais convenus initialement. Seul le secteur informel échappe à ces contraintes internationales, compte tenu de la nature rudimentaire des activités qui y sont pratiquées (agriculture vivrière, artisanat, petit commerce, transport clandestin, etc.). Or ce secteur se finance à travers des sources alternatives tout aussi informelles (tontine, love-money, autofinancement, etc.)
Cette situation est d’autant préoccupante que les finances publiques vont subir une érosion si importante que, dans le cas d’un pays comme le Cameroun, le Gouvernement perdrait pratiquement tous les leviers stratégiques qui lui restent pour assurer ses missions régaliennes. Le budget de l’Etat, adopté dans le cadre de la loi des finances 2020, soit FCFA 4 951 700 000 000, pourrait se trouver amputé de plus de 50% de ses recettes prévisionnelles, et notamment fiscales, si des mesures complémentaires ne sont pas prises urgemment, pour soutenir l’économie locale et enclencher tout de suite le processus de transformation industrielle des matières premières, avec à la clé la satisfaction des besoins de consommation de base des populations, une offre importante d’emplois décents, et un équilibre structurel au niveau du commerce extérieur et de la position de change.
Une telle orientation semble incontournable dans le contexte de crises multidimensionnelles aux ressorts endogènes et de pressions géopolitiques nourries par des intérêts exogènes, mais dont la conjugaison met le Cameroun dans une situation permanente d’implosion massive. Une récession économique serait alors synonyme de détonateur pour toutes ces bombes à retardement.
D’où l’urgence de l’adoption de mesures structurelles plus audacieuses, telle que la monnaie binaire, pour enfin mettre la politique monétaire au service du développement économique et de la préservation de la paix dans les pays de la CEMAC.
Institution de la monnaie binaire comme mécanisme conduisant à l’évolution du FCFA
Au regard de la gravité de la crise économique et financière qui se profile à l’horizon, et eu
égard aux contraintes financières auxquelles l’Etat se trouverait rapidement confronté dans un contexte international et géopolitique extrêmement hostile, nous estimons que les mesures à mettre en œuvre pour y faire face doivent être à la fois d’ordre conjoncturel et structurel. A cet effet, les propositions ci-après sont articulées en trois volets, le troisième indiquant les modalités de mise en œuvre des mesures conjoncturelles et structurelles adossées à l’utilisation effective de la monnaie binaire, comme levier structurant de l’économie locale.
Au titre des mesures conjoncturelles, nous proposons :
- La mise en place immédiate d’un cadre de concertation permettant de centraliser les bilans de situation de toutes les entreprises et d’informer leurs dirigeants des dispositions et mesures utiles à prendre pendant et après cette période de crise
- L’allègement de la pression fiscale portant notamment sur le recouvrement forcé des impôts, taxes et autres cotisations sociales, assorti d’un ajustement des délais courants de payement jusqu’en décembre 2020 ;
- La mise en place d’un mécanisme d’assistance aux ménages, par un appui direct en monnaie binaire (système de bon d’achat monétique), couvrant leurs besoins de consommation de base (logement, alimentation, santé, transport, communication, eau, électricité, etc.), tout en garantissant une demande captive pour les entreprises locales et en évitant d’aggraver le déficit extérieur ;
- L’adoption d’une loi des finances rectificative pour le compte de l’exercice 2020
S’agissant des mesures structurelles, nous proposons
- La flexibilité de la politique monétaire à travers l’institution d’une monnaie binaire, permettant de créer un bouclier institutionnel et financier pour la protection et la transformation structurelle de l’économie locale ;
- La création d’une Société de Cautionnement Mutuel des entreprises exerçant au Cameroun, bénéficiant d’une garantie souveraine (engagement par signature) de l’Etat, à hauteur de FCFA 1 000 Milliards, en monnaie binaire ;
- L’adoption du mécanisme d’allocation partielle du budget de l’Etat en monnaie binaire
Ces différentes mesures offrent aussi bien au Gouvernement qu’aux entreprises un bouclier structurel et financier qui protège l’économie locale des conséquences néfastes inhérentes au cycle infernal de crises économiques et financières mondiales observé depuis un siècle environ et, de la forte dépression attendue consécutivement à la crise sanitaire provoquée par le COVID-19
Le Gouvernement y trouve notamment l’opportunité d’élargir son assiette fiscale et d’opérer les recouvrements avec une rare efficacité, grâce à l’attelage du secteur informel au secteur formel et au fait que toutes les transactions en monnaie binaire se feront exclusivement par voie électronique.
La Banque Centrale y découvre, elle aussi, plusieurs solutions relatives notamment à la limitation du volume des liquidités en cash, l’optimisation du taux de bancarisation des populations, la mobilisation plus importante de l’épargne publique, un relâchement progressif de l’étau des conventions monétaires avec les partenaires traditionnels, grâce à un renforcement structurel de l’économie locale et à un rééquilibrage mécanique et progressif de la position extérieure.
En définitive, les mécanismes de mise en œuvre de ces mesures structurelles et conjoncturelles appellent la contribution de certaines institutions publiques et privées, que nous listions ci-dessous en indiquant leurs rôles respectifs :
- Etat / Gouvernement : Adoption de l’instrument monétaire de monnaie binaire électronique (MOBEL) ayant pouvoir libératoire exclusivement au niveau local et, même cours légal que le FCFA ; Allocation partielle du budget en monnaie binaire ; Allocation des appuis aux ménages et aux entreprises en monnaie binaire ; Appui à la création d’une société de cautionnement mutuel des entreprises à travers une dotation financière minimale de FCFA 25 Milliards et, une garantie souveraine (Engagement par signature) d’au moins FCFA 1 000 Milliards.
- Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) : Mise en œuvre d’une politique monétaire flexible, par l’émission de MOBEL, sans remise en question, pour le moment, des quatre principes de base sur lesquels repose le régime de change des six pays de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale
- Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) : Immatriculation et affectation d’un identifiant unique à tous les citoyens en âge légal de travailler et à tous les employeurs (publics, parapublics et privés) ; Distribution des allocations spéciales d’appui COVID-
19 aux ménages et aux entreprises, en monnaie binaire électronique. - Direction Générale des Impôts (DGI) : Affectation d’un numéro de contribuable à tous les citoyens en âge légal de travailler et à toutes les entités exerçant une activité économique, à but lucratif ou non ; Suivi-recouvrement automatique des impôts et taxes à travers les transactions en monnaie binaire électronique, en plus des mécanismes classiques et conventionnels existant déjà.
- Société de Cautionnement Mutuel des Entreprises (SCME) : Enregistrement et notation financière de toutes entités exerçant une activité économique à but lucratif ; Evaluation de l’impact COVID-19 sur ces entités ; Estimation des besoins de financement par entité et par sous-secteur d’activités ; Structuration des entités en chaîne de valeur ; Emission de caution en faveur des entités affiliées en vue de bénéficier de restructuration des engagements bancaires ou de nouveaux crédits ; et accréditation pour l’accès à la plateforme de transactions commerciales et financières en monnaie binaire.
- Opérateurs de téléphonie mobile : Affectation de comptes spéciaux en monnaie binaire à tous les acteurs de la plateforme (Trésor public, Institutions financières, CNPS, DGI, Entités bénéficiaires de monnaie binaire et Entités Marchandes en monnaie binaire).
- Banque Camerounaise des PME (BC-PME) : Domiciliation du fonds de cautionnement mutuel des entreprises adossées à la garantie souveraine de FCFA 1000 Milliards ; Emission des cautions en faveur des autres institutions financières pour le compte des entités accréditées pour l’accès à la plateforme de transactions commerciales et financières en monnaie binaire ; Distribution de crédit aux entités avec allocation partielle en monnaie binaire.