INTERVIEW DU JOURNAL LE MESSAGER PARU CE 19 FEVRIER 2021, EN MARGE DE L’INTRODUCTION EN BOURSE DE LA REGIONALE D’EPARGNE ET DE CREDIT
Éric ELOUNDOU NGAH Entretien avec Le Prince FOGUE
- Que doit-on comprendre par l’entrée en bourse de La Régionale ?
L’entrée en bourse de LA REGIONALE représente une opération classique d’appel à l’épargne publique, dûment autorisée par la Commission de Surveillance du Marché Financier d’Afrique Centrale (COSUMAF) et arrangée par la Société de bourse FINANCIA CAPITAL (agréée par la COSUMAF).
En termes simples, il s’agit d’un mécanisme de financement, comparable au financement bancaire, mais par lequel les personnes physiques ou morales disposant d’une épargne (excédent d’argent) choisissent d’apporter directement ces ressources à LA REGIONALE, pour soutenir son développement et notamment son ambition de transformation en banque.
l faut saluer cette initiative des dirigeants de LA REGIONALE, qui démontrent par-là que des
opérateurs économiques camerounais ont la capacité de dynamiser le marché financier régional et d’offrir des perspectives saines de développement tant aux entrepreneurs qu’aux épargnants.
- Quelles sont les conditions à remplir par une entreprise pour être cotée à la BCMAC ?
En nous référant au cas d’émission des actions qui nous intéresse concernant LA REGIONALE, on peut rappeler que les conditions d’admission à la Bourse des Valeurs Mobilières d’Afrique Centrale (BVMAC) sont définies à travers deux compartiments distincts.
Le Marché A, dédié aux grandes entreprises, présente cinq conditions discriminatoires : (i) un
minimum de 20% du capital de la société à introduire en bourse ; une capitalisation boursière (valeur totale des actions introduites) supérieure à FCFA 10 Milliards ; un minimum de fonds propres de FCFA 500 Millions ; (iv) un chiffre d’affaires supérieur à FCFA 5 Milliards et ; deux années consécutives de résultats bénéficiaires.
Le Marché B, dédié aux PME, présente également les cinq conditions discriminatoires, mais plus assouplies : 20% du minimum du capital de la société à introduire ; une capitalisation boursière (valeur totale des actions introduites) inférieure à FCFA 10 Milliards ; un minimum de fonds propres de FCFA 200 Millions ; (iv) un chiffre d’affaires supérieur à FCFA 1 Milliard et ; deux années consécutives de résultats bénéficiaires.
En plus de ces conditions, l’entreprise doit être constituée sous la forme juridique de société
anonyme, disposer d’un système de contrôle garantissant la certification des comptes et un contrôle externe assuré par deux commissaires aux comptes et deux suppléants.
Enfin, sur le plan opérationnel et financier la société doit présenter des indicateurs de performance satisfaisants, notamment une rentabilité d’exploitation largement excédentaire (elle gagne de l’argent à travers ses activités), de façon à garantir la continuité de l’exploitation, la solvabilité (elle paye ses dettes) vis-à-vis de toutes les parties prenantes, dont les actionnaires qui attendent des dividendes en contrepartie de leur investissement.
- Quelles sont les garanties qu’ont les particuliers ou les personnes morales qui veulent souscrire aux actions de La Régionale ? Quels risques courent-ils ?
Le fonctionnement du marché financier implique quatre grands acteurs, dont les missions respectives permettent de protéger de façon optimale l’épargne publique et de gérer de manière sécurisée les relations entre les émetteurs de titres (LA REGIONALE) et les offreurs de capitaux (acquéreurs des actions de LA REGIONALE). Il s’agit de façon synthétisée de :
- La COSUMAF qui assure le contrôle sur le plan réglementaire et délivre, d’une part, les agréments aux différents intervenants et d’autre part, les autorisations d’émission des titres sur le marché financier, après étude préalable du dossier ;
- La BVMAC qui assure l’organisation, la gestion et l’animation du marché financier, ainsi que la surveillance de toutes les opérations. Elle est tenue d’émettre son avis pour les nouvelles introductions et d’informer la COSUMAF en cas de dysfonctionnement ou d’un quelconque incident pouvant compromettre les opérations engagées en bourse ;
- la Caisse Régionale de Dépôt de Valeurs (CRDV), représentée par la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), qui exerce les fonctions de conservation des titres de valeurs mobilières admises à la cote de la BVMAC, de teneur de compte des valeurs mobilières, de tiers-gagistes des valeurs faisant l’objet de nantissement et d’agent de règlement/livraison des valeurs admises en bourse ;
- Sociétés de bourse (FINANCIA CAPITAL notamment), qui accompagnent la société émettrice (LA REGIONALE dans le cas présent), dans la structuration et le montage du dossier d’émission, en s’assurant au préalable que la société présente toutes les conditions de fiabilité et de conformité requises par la COSUMAF et la BVMAC. Ces sociétés sont agréées par la COSUMAF et agissent en leur nom et pour leur propre compte aux fins de collecter et transmettre les ordres d’achat et de vente des titres cotés.
Il faut rappeler que ce dispositif n’exonère pas l’actionnaire potentiel de la responsabilité de s’assurer lui-même de la situation financière de la société émettrice et de prendre sa décision d’investissement en toute conscience et en toute responsabilité, car en tant qu’actionnaire, il participe aux risques conjoncturels auxquels la société émettrice serait confrontée.
Dans le cas spécifique de LA REGIONALE, on observe que c’est une entreprise qui affiche des résultats bénéficiaires depuis plusieurs années et dont la gouvernance paraît suffisamment rassurante pour garantir aux actionnaires futurs, non seulement des informations financières fiables mais surtout des dividendes en rémunération de leurs actions.
- L’entrée en bourse constitue-t-elle une solution au problème de capitaux des PME camerounaises ? Si oui pourquoi ?
Assurément, l’entrée en bourse constitue une solution au problème de financement des PME
camerounaises. Le cas de LA REGIONALE en est la parfaite illustration.
Cependant, contrairement aux autres secteurs d’activités, le secteur financier (banque, microfinance et assurance) bénéficie d’un cadre réglementaire suffisamment coercitif pour amener les institutions financières à adopter des principes de bonne gouvernance et, surtout, à veiller à leur application. Ce n’est pas le cas pour les entreprises du secteur commercial et industriel, qui s’organisent librement et ne sont pas soumises à aucun contrôle spécifique en matière de gouvernance, en dehors du cadre légal institué par l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA).
Les entreprises commerciales et industrielles sont tenues d’améliorer leur système de gouvernance pour accéder plus facilement aussi bien au marché bancaire qu’au marché financier. Cela implique au minimum, la maîtrise des coûts de production, le calcul adéquat du prix de vente (en y intégrant toutes les charges, les impôts et le bénéfice escompté), la tenue d’une comptabilité fiable et une gestion financière dynamique garantissant la satisfaction de toutes les parties (employés, clients, fournisseurs, Etat, actionnaires, communauté, etc.).
Ces recommandations, dans le contexte camerounais, s’adressent aussi bien aux entreprises formellement constituées, qu’aux entités dites informelles qui, à notre humble avis, devraient bénéficier d’un plan marshal d’éducation financière et d’un programme de gouvernance dédié au secteur privé, sous l’impulsion du Gouvernement, des institutions financières et des partenaires au développement. Ce serait l’une des clés de l’émergence à l’horizon 2035, qui ouvrirait alors la porte de la prospérité à plus d’un million de PME tapies dans les « SISSÔNGÔS* » très inconfortables de l’informel…
- Comment comprendre que les entreprises locales hésitent encore à franchir le pas ?
Une majorité écrasante des dirigeants d’entreprises camerounais est ignorante des fondements même du concept d’entreprise, et par conséquent de ses implications en matière d’organisation et de gouvernance. L’activité économique représente d’abord pour ces dirigeants une bouée de sauvetage pour assurer la survie quotidienne et/ou un cadre d’expression de leurs talents d’artisans. Ils n’ont donc pas forcément conscience de l’importance de leur rôle dans la société, ni des responsabilités que la décision de réaliser une activité génératrice de revenus leur impose vis-à-vis de la communauté, de l’administration et de leurs partenaires financiers.
S’agissant des grandes entreprises en activité au Cameroun, qui sont susceptibles d’entrer en bourse, il faut souligner qu’elles sont en majorité des filiales de groupes internationaux, dont les décisions de financement et d’investissement sont prises hors du Cameroun. La gouvernance qui en découle n’est pas toujours en adéquation avec les conditions de transparence financière exigées par le marché financier local. C’est la raison pour laquelle ces entreprises vont privilégier le financement bancaire au marché financier.